Consigne : écrire un texte libre à partir d’une
photo « l’enfant et la grenouille »
Mots à insérer : simplicité, froid, insouciance,
quartier, fessée, retour de pêche, jeux, paroles d’adultes, boulangerie,
divorce, musique de Bach, mal au ventre, profondeur, empêchement.
Calme toi. Viens près de moi, viens t’asseoir. J’ai besoin
de te raconter un peu de mon enfance. Regarde, j’ai retrouvé dans la vieille
boite en fer au fond du grenier, quelques photos. Sur celle-ci, je dois avoir 8
ans.
Je me souviens bien, c’était pendant les grandes vacances
chez la mémé Lucie. Tu ne l’as pas connue, elle habitait au bout de la ruelle
du Passage. J’adorais sa maison, son jardin. Il y avait toujours des lézards
qui couraient sur les murs.
Un jour, mémé revenait de la boulangerie et s’affairait dans
la cuisine à préparer le repas. Elle écaillait un poisson que le cousin Vincent
lui avait ramené de son retour de pêche. En cuisinant, mémé avait mis sur le
vieux phono de la musique de Bach. J’aimais bien rester auprès d’elle et je
buvais ses paroles. Paroles d’adultes qui parfois me faisaient un peu mal.
J’étais bien trop jeune pour les comprendre.
Ce jour-là, il faisait très froid et je n’arrêtais pas de
taquiner mémé en passant derrière elle et en lui dénouant son tablier. J’étais
très coquin ! Dans mon insouciance, j’allais toujours un peu loin et dès
que mémé voulait m’attraper, je prenais tout ce qui me tombait sous la main et
le poser par terre de façon à provoquer ce que j’appellerai
« l’empêchement dans la simplicité ».
C’était un de mes jeux favoris. J’avais besoin de taquiner,
de me confronter aux limites pour sans doute me sentir mieux exister.
Mémé avait de la patience, mais quand même !
Parfois, il m’arrivait d’oublier un petit détail :
c’est que mémé était beaucoup plus grande que moi et qu’elle aurait vite fait
de me rattraper. Mais ce jour-là, mémé avait les mains prises entre les
écailles de poisson et la farine, et j’avais déposé beaucoup d’objets sur son
parcours !
Une fois mon forfait commis, je pris mes jambes à mon cou
pour sortir en trombe de la cuisine. Mais, je n’avais pas sitôt franchi le
seuil de la porte que je me sentis soudain soulever du sol. Je volais dans les
airs … C’était le cousin Vincent qui était là, juste au bon moment, et qui
avait entendu crier mémé. Il me tira méchamment les oreilles, me secoua comme
un prunier pour me calmer et, tout en me cramponnant bien fermement, me menaça
d’une bonne fessée. J’étais terrifié !
Son coup de semonce violent et son accès de colère provoquèrent en moi un grand
choc, une cassure, un vrai divorce.
J’avais soudain l’impression qu’il y avait deux mondes
diamétralement opposés : celui de mon enfance, si chaud et rassurant, et
celui des adultes, avec des codes et des lois que je trouvais absurdes et que
je n’acceptais pas.
Une fois que le cousin Vincent m’eut relâché, je m’éloignais
du jardin. Seul, je me retrouvais complètement perdu et en proie à un terrible
mal de ventre. Je m’approchais d’un muret, avec encore dans la tête des idées
de mauvais coups et de vengeance. J’en voulais terriblement au cousin Vincent
et mon cœur, en moi, battait toute sa colère.
Soudain, je la vis. D’où venait t’elle ? où était sa
maison, sa ruelle, son quartier, ses amis ? Elle était là, et c’était pour
moi presque surnaturel. Je ne la trouvais vraiment pas belle avec ses gros yeux
et toutes ses tâches, mais sa seule présence avait réveillé toute la profondeur
de ma curiosité, l’émerveillement. J’étais là et rien que là, avec elle. Je
l’adoptais de suite et sans aucune formalité ! Loin du monde si compliqué
des adultes, une petite grenouille, moche et insignifiante, avait croisé mon
chemin. Mais surtout, elle m’avait rendu la joie de vivre et le sourire.