lundi 26 mai 2014

L'enfant et la grenouille


Consigne : écrire un texte libre à partir d’une photo « l’enfant et la grenouille »

Mots à insérer : simplicité, froid, insouciance, quartier, fessée, retour de pêche, jeux, paroles d’adultes, boulangerie, divorce, musique de Bach, mal au ventre, profondeur, empêchement.
 
Calme toi. Viens près de moi, viens t’asseoir. J’ai besoin de te raconter un peu de mon enfance. Regarde, j’ai retrouvé dans la vieille boite en fer au fond du grenier, quelques photos. Sur celle-ci, je dois avoir 8 ans.

Je me souviens bien, c’était pendant les grandes vacances chez la mémé Lucie. Tu ne l’as pas connue, elle habitait au bout de la ruelle du Passage. J’adorais sa maison, son jardin. Il y avait toujours des lézards qui couraient sur les murs.

Un jour, mémé revenait de la boulangerie et s’affairait dans la cuisine à préparer le repas. Elle écaillait un poisson que le cousin Vincent lui avait ramené de son retour de pêche. En cuisinant, mémé avait mis sur le vieux phono de la musique de Bach. J’aimais bien rester auprès d’elle et je buvais ses paroles. Paroles d’adultes qui parfois me faisaient un peu mal. J’étais bien trop jeune pour les comprendre.

Ce jour-là, il faisait très froid et je n’arrêtais pas de taquiner mémé en passant derrière elle et en lui dénouant son tablier. J’étais très coquin ! Dans mon insouciance, j’allais toujours un peu loin et dès que mémé voulait m’attraper, je prenais tout ce qui me tombait sous la main et le poser par terre de façon à provoquer ce que j’appellerai « l’empêchement dans la simplicité ».

C’était un de mes jeux favoris. J’avais besoin de taquiner, de me confronter aux limites pour sans doute me sentir mieux exister.

Mémé avait de la patience, mais quand même !

Parfois, il m’arrivait d’oublier un petit détail : c’est que mémé était beaucoup plus grande que moi et qu’elle aurait vite fait de me rattraper. Mais ce jour-là, mémé avait les mains prises entre les écailles de poisson et la farine, et j’avais déposé beaucoup d’objets sur son parcours !

Une fois mon forfait commis, je pris mes jambes à mon cou pour sortir en trombe de la cuisine. Mais, je n’avais pas sitôt franchi le seuil de la porte que je me sentis soudain soulever du sol. Je volais dans les airs … C’était le cousin Vincent qui était là, juste au bon moment, et qui avait entendu crier mémé. Il me tira méchamment les oreilles, me secoua comme un prunier pour me calmer et, tout en me cramponnant bien fermement, me menaça d’une bonne fessée. J’étais terrifié !
Son coup de semonce violent et son accès de colère provoquèrent en moi un grand choc, une cassure, un vrai divorce.

J’avais soudain l’impression qu’il y avait deux mondes diamétralement opposés : celui de mon enfance, si chaud et rassurant, et celui des adultes, avec des codes et des lois que je trouvais absurdes et que je n’acceptais pas.

Une fois que le cousin Vincent m’eut relâché, je m’éloignais du jardin. Seul, je me retrouvais complètement perdu et en proie à un terrible mal de ventre. Je m’approchais d’un muret, avec encore dans la tête des idées de mauvais coups et de vengeance. J’en voulais terriblement au cousin Vincent et mon cœur, en moi, battait toute sa colère.

Soudain, je la vis. D’où venait t’elle ? où était sa maison, sa ruelle, son quartier, ses amis ? Elle était là, et c’était pour moi presque surnaturel. Je ne la trouvais vraiment pas belle avec ses gros yeux et toutes ses tâches, mais sa seule présence avait réveillé toute la profondeur de ma curiosité, l’émerveillement. J’étais là et rien que là, avec elle. Je l’adoptais de suite et sans aucune formalité ! Loin du monde si compliqué des adultes, une petite grenouille, moche et insignifiante, avait croisé mon chemin. Mais surtout, elle m’avait rendu la joie de vivre et le sourire.

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